Philippe Cassard au Caloni

« Fabuleux » selon les mots du maître Eric Heidsieck, présent ce soir là au square Caloni avec tout le public venu entendre Philippe Cassard pour le récital de clôture de la fête du piano de Collioure. Un soir exceptionnellement velouté, un ciel pur, le balancement des bateaux se faisant discret et le clocher de Collioure en vigie protégeant les nombreux promeneurs qui se pressaient au long de la digue pour profiter eux aussi du concert. Magnifique point d’orgue à la fête du piano qui se déroulait depuis plusieurs jours près des murailles du majestueux Château Royal.

Bien connu pour ses chroniques du samedi matin à France musique, reprises en d’autres villes pour d’autres occasions comme à Toulouse où il est régulièrement invité, Philippe Cassard est un pianiste remarquable qui a donné à Collioure où il faisait partie du jury du concours international de piano Alain Marinaro, un concert éblouissant. A la fois commentateur et interprète des œuvres qu’il présentait il en redoublait la saveur et en faisait sentir toute la richesse. D’entrée de jeu il est de plain-pied avec le public, expliquant qu’il avait l’intention de présenter une soirée intégralement dédiée à Schubert mais qu’une première partie accordée au lieu et au moment s’impose. On s’embarquait donc, dans la douceur des effluves marines, pour un Nocturne de Gabriel Fauré, une Barcarolle de Chopin et le célèbre Clair de lune de Claude Debussy, dûment présentés par le pianiste lui-même. Dès la première pièce, le Nocturne de Fauré, la beauté du jeu s’impose. La barcarolle de Chopin, non moins inspirée, bénéficie d’une présentation par l’interprète : une déambulation à Venise, ornée  d’une cantilène de gondolier dont le compositeur se dégage très vite pour un moment suspendu qui précède la « fausse apothéose » du final. Plus diserte encore, l’évocation d’un Claude Debussy emporté par son amour pour Emma Barsac, qui lui inspire l’Isle joyeuse, et reprend alors une pièce esquissée quelque temps auparavant en écho, sans doute, au poème éponyme de Verlaine. Philippe Cassard se fait poète lui-même pour évoquer  le Clair de lune avant de nous le livrer dans sa pure beauté sous un ciel rose et bleu qui s’accorde à merveille avec cette délicate première partie.

Après l’entracte ce fut le morceau de bravoure : la sonate n° 20 en la majeur de Schubert, une pièce qui dure quarante minutes et fait partie des trois célèbres sonates écrites par Schubert peu avant sa mort. L’œuvre est en quatre mouvements : allegro, andantino, allegro vivace, allegretto. La référence à Beethoven que Schubert admirait y est explicite ; Philippe Cassard parle même de fascination. Concernant l’œuvre elle-même et les circonstances de sa composition, il en analyse chaque mouvement. L’andantino est la partie la plus souvent jouée et commentée : faite elle-même de quatre parties elle évolue vers un moment très sombre inspiré du mythe du marcheur solitaire, référence romantique où la disparition, la perte, l’oubli, sont sources d’invention musicale, violence et sérénité tout à la fois. Mais au final de la pièce la joie reprend ses droits. Philippe Cassard triomphe sans difficulté apparente (ainsi s’affirment les maîtres) de cette œuvre magnifique, longuement travaillée et mûrie, et de toute évidence source pour lui d’un grand bonheur d’interprétation. Après ce triomphe longuement ovationné ce fut en bis un Impromptu de Schubert, délicate attention finale.

Yvette Lucas