DISCOURS DE JEAN-YVES MARINARO

Alain Marinaro nous a quittés le 30 avril 2001. Premier prix de piano au Conservatoire de Perpignan, puis au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, il avait confirmé son niveau national au concours d’Arras et son niveau international au concours FLAME de Paris. Hélas !, sa mort à 23 ans ne lui a pas permis de constituer un patrimoine tangible de disques numériques brillants, de titres internationaux et de tournées exceptionnelles ; aussi, l’idée de fonder une association de ses amis peut elle paraître présomptueuse, comme une sorte de récupération par des parents frustrés de la réussite espérée pour leur fils.

Peut-être ce sentiment a-t-il une petite place dans notre détermination ; on voudra bien le comprendre. Ajoutons que les projets entretiennent le désir de vivre chez ceux qui ont tant perdu. Pourtant, une évidence nouvelle nous aiguillonne. La lecture de son journal intime et les témoignages que nous avons recueillis façonnent un personnage d’une stature véritablement exceptionnelle.

Le pianiste, d’abord. Ceux qui l’ont écouté savent que, si la technique était souvent éblouissante, c’était surtout la fougue, l’engagement, la sensibilité qui marquaient ses interprétations et qui transformaient l’auditeur en témoin bouleversé ou émerveillé d’une sorte de psychodrame. Avec lui, l’objet musical retrouvait sa vie première, tel qu’il avait jailli de l’imagination créatrice d’un compositeur inspiré.
On pouvait critiquer le tempo, le volume sonore, voire la maladresse d’une cadence ; mais on n’en était pas moins atteint par la sincérité de l’engagement et la force du message.

 

Je me souviens de ce concert au Boulou ou le piano parfois se transformait en orgue ! Et ce concert de Villelongue avec Diego Tosi ; le piano y remplaçait tout un orchestre et s’y montrait encore plus crédible. Et cette sorte d’agrégation improvisée et inspirée d’ une étude de Bach avec une étude de Chopin.

On ne pouvait pas rester indifférent aux interprétations d’Alain, lorsqu’il était en phase avec son public, à quelque milieu culturel qu’on appartienne ; des expériences avec des prisonniers, avec des pensionnaires de maison de retraite, avec des jeunes, confirmèrent qu’il pouvait faire passer un langage musical savant à ceux qui ne le connaissent pas ou le connaissent mal, car il savait entrer en communication avec ce qu’il y a de fondamentalement humain en chaque homme.

Qualités musicales exceptionnelles d’un être d’exception. Décrire un personnage aussi marquant qu’Alain n’est pas chose facile, et mon statut de père ne m’y avantage sûrement pas. De ce que je connais et de ce qui m’a été rapporté, je crois que ce qui le caractérisait le mieux c’était son âme passionnée, dévorante et s’exprimant en direct, sans les barrières que nous connaissons tous et dont il ne parvenait pas vraiment à tenir compte.

Cela se traduisait par une dignité incomparable qui le rendait inapte aux hypocrisies sociales, aux compromissions, aux mondanités.
Une exigence de liberté, pour lui, mais aussi pour les autres, avec comme corollaire, sa faim de créativité et d’improvisation qui s’exprimait déjà à l’âge de dix ans, son inaptitude à l’intendance et son profond refus de tout système de pensée. Il fallait qu’il ait envie d’entreprendre pour entreprendre. Il pouvait rester plusieurs jours sans toucher le clavier. Mais, quand il s’y mettait, quelle fringale, quel feu d’artifice !
Une immense générosité, une sorte d’amour à l’égard des personnes en difficulté. Il avait l’intuition de ce qu’il devait leur dire ; son âme savait leur parler et mettre en valeur ce que chacun a d’authentique et de précieux en lui.

En contrepartie, il était désarmé comme un enfant, vis à vis de ceux qui l’entouraient. Certains d’entre vous ont assisté à ces accès de joie dionysiaque, tels qu’il pouvait les exprimer au sein de petites réunions conviviales où il se sentait aimé. D’autres ont pu deviner ses périodes d’abattement, de doute ou de contrition ; deviner seulement, car il les vivait seul.

L’ensemble de ces traits dessine un caractère de héros romantique, sensible, idéaliste, passionné et parfois manichéen. De ce héros, il avait aussi la foi, une foi chrétienne immense, impérieuse mais discrète ; nous ne l’avons découverte qu’à la lecture de son journal intime. Une foi sans chapelle (je vous rappelle son horreur des systèmes de pensée). Une foi inattendue, car nous ne l’avions vraiment pas orienté dans cette voie. En Jésus, il mettait son trop plein d’amour, sa confiance et son espoir. D’ailleurs, son caractère s’était approfondi et, dans les combats qu’il menait avec lui même pour aller vers la pureté, il se sentait aidé. Le désarroi, qui marquait ses premières confidences écrites, avait fait place à une grande espérance. Ses révoltes d’adolescent s’apaisaient. En mars, il avait senti la main de Dieu sur lui. Le 8 avril 2001, les dernières pensées qu’il confiait à son journal intime reflétaient bien cette confiance :

D’ailleurs, bien des choses dans son métier et dans sa vie semblaient s’améliorer. Son anxiété s’apaisait… alors même qu’il sentait planer sur lui le danger d’une mort prochaine et violente, ce qu’il exprima à plusieurs membres de notre famille. Un rêve, dans la nuit du 26 au 27 avril, qu’il nous raconta, allait dans le même sens, mais il ne sut pas l’interpréter.

Le dimanche 29, il partait à Barcelone en fin de matinée, heureux d’aller revoir Damiana, une camarade flûtiste du CNSM, qui y concourrait. Alors, vint l’enchaînement fatal. Une chambre d’hôtel introuvable en ce week-end du premier mai ; une Damiana qu’il n’arriva jamais à rejoindre. Il dut se résigner à dormir sur un banc de la rambla. Dans la nuit du 29 au 30, des voleurs l’agressèrent et lui prirent sa sacoche, contenant argent, papiers d’identité, nécessaire de toilette et une partition du conservatoire qu’il souhaitait déchiffrer pour le concours de violon de Canet, et, de plus, sa veste, sa chemise, son pantalon et ses souliers. Ensuite, il disparaît, probablement kidnappé, par qui ? On le relâche, ou bien il se sauve vers 17h30 dans la colline de Montjuich. Malgré le froid, il arrive en sueur au guichet du musée d’armement, demande à y pénétrer, sans doute pour se protéger de nouvelles agressions, explique sa situation et se fait refouler sans ménagement. Quelques minutes plus tard, il tombe des remparts de Montjuich, après un cheminement étrange, mais plein de signification pour ses proches.

Je prends petit à petit conscience des valeurs de la vie. Don de soi, partage, communion, joie de vivre chaque instant. Les plaisirs simples : marche, nourriture, sommeil. Maîtrise de soi, lucidité, réflexion, non lutte, la Bible comme nourriture spirituelle. Etre dans le présent et être relié à l’infini. Voilà la maxime. Apprendre des enfants, recevoir et donner. Etre heureux d’exister et remercier le ciel tous les jours. Avoir conscience de sa mission et du message à faire passer. Ne pas se laisser enfermer dans un système quel qu’il soit. Ne pas donner dans le jeu social afin de rester entier… …prier….

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