Concours international de piano de Collioure 2016 – Frédéric Durieux explique sa composition.
Counting out Time (2015-16), pour piano seul
Commande du 9e Concours International de Piano Alain Marinaro
Dédicace : En souvenir d’Alain Marinaro
Editeur : Edizioni Musicali Rai Com (Rome & Milan, Italie)
En 2013, j’ai été contacté par une personne de l’Association des Amis d’Alain Marinaro afin de savoir si j’accepterais de composer une partition pour le Concours International de Piano qui porte le nom de ce jeune artiste trop tôt disparu. Je dois avouer que lorsque l’on m’a posé la question et que le nom du concours m’a été énoncé, le temps s’est comme arrêté car ce jeune pianiste avait été l’un de mes élèves alors que j’enseignais l’analyse musicale pour les élèves instrumentistes du Conservatoire de Paris (CNSMDP). Me revint alors à l’esprit quelques flashs rapides : le visage d’Alain Marinaro, de brefs moments d’échanges lors des pauses entre les cours, son visage rieur, un cours d’analyse sur le deuxième Scherzo en Si bémol mineur de Frédéric Chopin qu’il souhaitait étudier, son jeu de pianiste très doué, etc. C’est donc immédiatement que j’ai accepté d’écrire pour l’un des prochains concours, après avoir rencontré les parents d’Alain.
Le point de départ de ma partition est un jeu sur le temps et la virtuosité rythmique, hommage au jeune pianiste brillant, ainsi qu’à la personne enjouée que j’avais connue. Une série d’accords répétés et fixés sur une note aiguë, sert de point de départ et indique l’axe temporel (celui du tempo principal de la partition). Je précise que la note aiguë très repérable au début, puis à plusieurs moments clés de la partition, est un la qui dans la solmisation germanique et anglo-saxonne s’écrit A ; A comme Alain, A la lettre 4 fois contenue dans le nom d’Alain Marinaro. La suite initiale d’accords peut également être considérée comme une sorte de code génétique de tout ce qui va suivre au fil des pages.
Counting out Time est une partition basée sur des périodicités qui s’entrecroisent, un peu à la manière d’une mémoire qui défilerait dans un temps resserré différentes périodes d’une vie ou d’un film qui remonteraient brusquement à la surface de notre conscience. Les événements défilent à des allures diverses, s’entrecroisent et se transforment. Les figures rythmiques jouent un grand rôle dans cette mémoire fibrée de vitesses variées, comme si le compteur initial s’emballait et se détraquait au fur et à mesure du déroulement de la partition.
Dans Counting out Time l’espace des registres est aussi particulièrement sollicité. Certains passages se fixent dans des zones précises (registre aigu ou grave), d’autres opposent des zones de perception ou encore traversent très rapidement la tessiture du piano. L’espace et le temps se rencontrent alors, comme dans la théorie de la Relativité Générale d’Albert Einstein, le fameux chat d’Erwin Schrödinger ou ces paroles tirées du livret de l’Acte I du Parsifal de Richard Wagner : « Du siehst, mein Sohn, zum Raum wird hier die Zeit » (Tu vois mon fils, l’espace ici naît du temps).
Une autre image est également à l’origine de cette partition, celle du tableau de Cy Twombly intitulé Leaving Paphos Ringed with Waves V (2009) qui évoque ce temps où l’on quitte un lieu par la mer. Les couleurs vives de cette toile, peinte par un homme déjà âgé, sont pour moi comme une autre évocation possible de la jeunesse et du talent d’Alain Marinaro.